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Présent uniquement à Tahiti le ‘Ōmāma’o est un oiseau territorial et forestier qui ne subsiste plus que dans trois vallées de la côte ouest de l’île : Maruapo, Papehue et Hopa sur les communes de Paea et de Punaauia. Cette espèce est menacée par plusieurs prédateurs introduits et envahissants. Son sauvetage est une véritable épopée depuis 1998. La population, partie de 19 individus, n’avait atteint que 35 individus et 5 couples reproducteurs en 2009. Parmi eux, un unique couple dans la vallée Hopa, qui s’est tant bien que mal reproduit. En 2021, la population totale a atteint 125 individus mais cette vallée ne compte que 7 individus, tous consanguins. Selon les projections effectuées par l’association Manu, la population de Hopa finira par s’éteindre alors même que cette vallée dispose de l’habitat le plus vaste des trois vallées.
Le projet d’y transférer une douzaine d’individus entre 2021 et 2023 a été discuté puis accepté et soutenu financièrement par la Direction de l’Environnement (Arrêté n°8743 du 9/9/20) et l’Office français pour la Biodiversité. Malgré sa simplicité apparente, cette action est loin d’être évidente car une forte fidélité territoriale est constatée chez les Monarques. Ce comportement a aussi été observé chez d’autres espèces, où les individus étaient retrouvés dès le lendemain sur leur zone d’origine!
C’est pourquoi un plan opérationnel a d’abord été rédigé et soumis à dix experts internationaux pour tenter de limiter cette fidélité.
Au final, c’est le transfert simultané de jeunes tout juste émancipés (objectif de 6 jeunes par an pendant deux ans) des vallées Papehue et Maruapo vers la vallée Hopa qui a été planifié. Les premières tentatives ont été réalisées en février 2022 avec le transfert de quatre jeunes oiseaux.
De nombreux partenaires soutiennent le programme de conservation du ‘Ōmāma’o et doivent être remerciés pour leur soutien depuis des années. C’est grâce à tous que nous avons pu faire augmenter la population et mener toutes ces actions : le Pays, les Mairies de Punaauia et de Paea, EDT Engie, le Groupe OPT, Yune Tung, la TEP, Air Tahiti, Intercontinental Tahiti mais aussi des parrains, donateurs, les fondations internationales et l’Union Européenne.

La préparation compliquée des premiers transferts
La SOP ne voulait pas courir le risque de transférer des jeunes encore incapables de survivre seuls. Leur taux d’auto-alimentation et la diminution progressive du nourrissage parental a dû être suivi. Une étudiante de l’Université de la Polynésie française, Aimée Naveos, a été plus particulièrement chargée de cette étude. Elle a été aidée par 2 biologistes (Maria Igual
et Benjamin Ignace). L’inconvénient de cette stratégie est que plus on se rapproche de l’indépendance, plus on risque de perdre le jeune de vue, car les jeunes Monarques émancipés ne sont relocalisés classiquement qu’en début de la saison de reproduction suivante, 8 mois plus tard !
Seuls deux des trois jeunes étaient encore sur le territoire parental lorsque les captures ont été enclenchées, le 11/02/2020, avec une capture effective des deux jeunes le 12/02/2022.Un mois avant les captures des juvéniles de la vallée de Papehue, 8 mangeoires orange vif ont été installées sur les 3 territoires de Monarques visés par les premiers
prélèvements : celles-ci ont été surveillées par des caméras à déclenchement automatique et réapprovisionnées chaque jour avec 5 à 10 vers de farine. Pour notre plus grande joie, six
ont été visitées par des oiseaux dont 4 d’entre-elles quotidiennement (figure 3). Même si les juvéniles ne sont pas venus directement se nourrir aux mangeoires, les adultes ont utilisé les vers de farine pour les nourrir dans la plupart des cas.

Figure 2 : photo d’une caméra de surveillance avec le mâle de « Clairière » et son juvénile

Lors de la translocation des vers de farine ont été placés dans les boites de transfert des individus d’une vallée à une autre et à chaque fois plusieurs ont été mangés, ce qui a permis de diminuer la période pendant laquelle les oiseaux ne pouvaient pas se nourrir. En revanche, les mangeoires placées dans la vallée de Hopa n’ont jamais été visitées.

Déroulé des premières captures (Papehue) et transferts

11/2/22 : Première tentative de capture à Papehue, de 12h00-19h00.

Figure 3 : Montage des filets sur le territoire ‘Clairière’

12/2/22 : Deuxième tentative de capture à Papehue, les 2 jeunes sont capturés vers 8h00 et mis en boite de transport puis relachés dans la vallée Hopa!

Figure 5 : Un des juvénile de Papehue bagué ; boites de transport individuelles.

Le temps de ranger les filets, de sortir de Papehue, de prendre la voiture pour se garer à Hopa, puis de remonter jusqu’aux territoires de monarques de cette vallée, il est 11 h 30 lorsqu’on commence à équiper les oiseaux d’émetteurs censés faciliter leur suivi. Cette opération délicate n’est finalement pas réussie sur l’un des jeunes qui perd ses plumes une à une lorsqu’on essaye de fixer l’émetteur, ce qui nous oblige à renoncer pour ne pas compromettre sa survie.

Figure 5 : Transport des jeunes entre Papehue et Hopa ; camp dédié au relâché

14/2/22 : Deux autres jeunes, mais pas des jeunes tout juste émancipés, ont été capturés dans la vallée Maruapo.

Figure 6 : Pose des bagues et de l’émetteur de 0,6 gramme.

Un peu avant leur lâché, les oiseaux sont réunis dans une volière ouvrable à distance et présentant plusieurs mangeoires. Filmée de l’intérieur, l’un d’entre eux s’est même alimenté avant de s’envoler !

Figure 7 : Mise en volière et relâché

Après une sortie timide, ils se font chasser en moins d’une dizaine de minute par les voisins du site dont un jeune d’un an, qui décident de s’allier pour défendre ce territoire plutôt que de s’intéresser aux nouveaux venus. A part un contact visuel troublant où deux Monarques orange (dont au moins un non bagué donc résident) se sont baladés ensemble et semblaient bons amis, ils sont rapidement perdus de vue.

Suivi des oiseaux sur Hopa… et ailleurs

Malgré nos antennes VHF, les signaux des nouveaux venus disparaissent rapidement. Pendant les cinq jours consécutifs passés sur le terrain par la première équipe de suivi, un unique ‘bip’ est capté, le lendemain du dernier relâché, puis trois bips le 18/02 par la deuxième équipe de suivi… et depuis plus rien. Si aucune des prospections sur Papehue n’a permis pour l’instant de retrouver les deux jeunes capturés là-bas, le 22/02, un des jeunes capturé sur Maruapo était de retour sur son territoire, où il semblait très amoureux d’un oiseau orange non bagué présent sur le site ! Est-ce parce que nous nous sommes trompés de binôme qu’il est de retour ?

Figure 8 : Première équipe de suivi sur Hopa, Maria et Benjamin, et antenne VHF (sur l’écran on peut lire que l’émetteur 1E330723 a été capté deux secondes auparavant)
Figure 9 : Aimie en recherche et divers paysages de Hopa

En conclusion

Les captures et transferts se sont déroulés dans de bonnes conditions, avec une météo clémente en pleine saison des pluie et des jeunes qui se sont alimentés dans les boites de transport, même ceux qui n’étaient pas habitués aux vers de farine. L’expérience avec les mangeoires a été un succès, en permettant que les jeunes soient bien nourris avant l’opération. Les prochains relâchés se feront encore plus à l’écart des individus résidents de Hopa pour éviter la dispersion rapide qui a été la caractéristique des deux premiers relâchés.
Les recherches vont se poursuivre mais de manière plus espacée. La portée des antennes est insuffisante pour permettre la relocalisation des oiseaux équipés dans des flancs raide de 400 mètres de haut. Sont-ils toujours sur Hopa, mais dans des sites hors de portée des récepteurs ? Si les juvéniles de Papehue restent fidèles au comportement habituel des jeunes qui vivent réfugiés sur des pentes inaccessibles, on ne connaitra le succès ou l’échec de l’opération de translocation que vers septembre 2022, lors du début de la saison de reproduction.